Le dernier des garde nuages
Le père Cardillet était très vieux. Il avait des sourcils en broussaille, un visage ridé, un képi, un ceinturon de cuir sur une veste kaki luisante d’usure. Sa grosse voix faisait peur aux enfants. Il se promenait toute la journée sur les terrasses qui surplombaient la plage. Parfois, quand il voyait un vieux couple affalé dans des transats avec un chien baveux à moitié gâteux sur les genoux de madame, il s'arrêtait pour faire une petite causette. Le père Cardillet faisait des compliments sur le chien. Tout le monde était content : les vieux parce qu'on s'occupait d'eux, le chien parce qu'on parlait de lui, le père Cardillet parce qu'il avait prouvé qu'il pouvait, quand il le voulait bien, être aimable. Le reste du temps, on s'écartait sur son passage. Il n'était pas aimé, il le savait. Ses airs bourrus ne plaisaient pas. Et puis les mamans craignaient les coups pour leurs chers petits. On ne l'avait jamais vu frapper un enfant, mais il avait bien l'air d'en être capable, n'est-ce pas ?
Un jour, un gamin plus déluré que les autres s'était enhardi et lui avait demandé :
- A quoi vous servez, avec votre uniforme ? Vous surveillez quelque chose ?
Surpris, le vieux garde champêtre à la retraite (là, au bord de la plage, les touristes ne savaient pas qu'il avait été garde champêtre) avait répondu sur un ton décidé :
- Je garde les nuages.
Sa réponse s'était répandue, et avait fait du vieux Cardillet un personnage encore plus redoutable, car détenteur d'un pouvoir dont personne n'arrivait à cerner les limites. On lui avait cependant attribué une science de la météorologie dont il avait tiré une grande fierté, et dont il s'était mis à faire usage sans vergogne.