Le paradis perdu.
C'est étrange, depuis que je ne travaille plus, je me sens de plus en plus fatigué.
Avant, je sortais d’un lit douillet pour siroter mon café au lait où je trempais les tartines grillées et beurrées par ma douce. Je descendais dans le métro –une chance, au pied de l’immeuble – et je pouvais m’asseoir - autre chance, j’étais en début de ligne – et lire mon journal tranquillement. J’arrivais au boulot, peinard, je m’installais à l’accueil, j’attendais le client et son bouquet : Je cherche le caveau d’Ursule Leblanc. J’ouvrais le registre : allée D 3e section. Je reprenais mon jeu sur mon portable. Un petit tour pour digérer mon frichti, pour vérifier que le jardinier avait ratissé et ramassé les fleurs fanées… le temps passe vite quand on travaille. Le soir retour au foyer, pieds sous la table, bon petit repas mijoté par ma douce, télé, galipettes le mardi et le samedi. La belle vie, quoi.
Et puis la catastrophe, le jardinier promu gardien, moi viré, la descente aux enfers, les dettes, l’huissier, la douce envolée, l’expulsion, la descente dans le métro. Faire la manche de wagon en wagon, dormir recroquevillé sur les sièges moulés en plastique, bouffer les restes de sandwiches récupérés dans les poubelles, refaire la manche, répéter 300 fois la même litanie, je suis sans domicile, bla bla bla, un ticket restaurant ou une petite pièce, à votre bon cœur merci bon voyage. Epuisé je suis. A ce rythme je vais me retrouver au cimetière. Pas à l’accueil. Sous terre.