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15 janvier 2012

Récup.

 

Autrefois on conservait tout, ce qui fut bien utile pendant et après la guerre. Une tante de Bretagne avait envoyé à ma mère, à l’époque où les enfants n'avaient que des galoches à semelles de bois, une paire de bottines à boutons. Elle les avait probablement portées elle-même enfant, à la fin du siècle dernier. Des bottines élégantes, cuir resté souple, finesse d'exécution, tout pour leur permettre de figurer dans une vitrine de musée. Ma mère avait été enchantée d'une telle aubaine. Ma grand-mère, conservatrice elle aussi, avait aussitôt fourni le crochet à bottines complémentaire. Elle m'avait montré comment l'utiliser.

Désormais mes matinées étaient occupées. Il fallait tenir le crochet d'une main ferme mais souple, l'enfiler dans une boutonnière, de l'autre main rapprocher la tige ornée d'une multitude de minuscules boutons, et d'un mouvement habile du poignet faire glisser le premier bouton dans la boutonnière correspondante. Je le ratais, je recommençais trois fois avant de réussir. Je passais le crochet dans la boutonnière suivante, en subissant les mêmes tentatives avortées. Je me félicitais enfin d'avoir fermé déjà quatre boutons. Je m'apercevais alors que j'en avais sauté un, que j'avais mis le troisième bouton dans la deuxième boutonnière, et que la tige de la bottine faisait un pli qui me gênerait sur le cou de pied. J'avais des bouffées de haine silencieuse à l'encontre de la généreuse tante. Je repartais en arrière en défaisant, telle Pénélope, les deux derniers boutons. Je contemplais la rangée en perspective, je soupirais, je me remettais au travail : ma mère m'attendait pour m'emmener faire les courses avec elle.

Au retour des courses il ne me restait plus qu'à exécuter la manœuvre inverse - comparativement facile - pour retirer ces bottines diaboliques. Au repos, je les voyais qui me narguaient, alignées d'un air faussement sage à côté des autres chaussures de la famille. J'étais têtue, j'avais décidé de les mâter. J'ai développé ainsi, grâce à elles, des qualités de concentration, de patience et d'habileté manuelle que je ne possédais pas auparavant. C'est au moment où j'étais enfin venue à bout de leur caractère récalcitrant que je me suis mise à grandir. Les bottines devenues trop petites furent renvoyées à la tante.

 

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Commentaires
M
j'ai beaucoup aimé cette histoire, mais c'était en quelle année ? J'ai récupéré chez un brocanteur des chaussures identiques pour adultes, tu as peut être du les voir sur mon bufffet dans mon entrée. Dommage que tu n'aies pas pu les garder en souvenir.<br /> <br /> à bientôt<br /> <br /> manouedith
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  • un aperçu de ma passion pour l'écriture : des nouvelles, des récits courts, des anecdotes autobiographiques, l'aventure de mon premier roman, mes ateliers d'écriture, des souvenirs de vacances en Bretagne, des citations, mes lectures
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