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Lire à la loupe
10 octobre 2012

Une mascarade inattendue.

Les questions économiques étant épuisées, Marie-Aude Brétigny passa aux questions de société. Cette jeune et dynamique journaliste était chargée de l’émission télévisée attendue de tous – le face-à-face de l’entre-deux tours de la présidentielle. Il opposait d’un côté le bouillant Yves Renard, candidat d’une gauche rénovée, dont les avancées parfois iconoclastes secouaient un public morose trop longtemps découragé. Au début de sa carrière politique il avait jugé bon de révéler son homosexualité qui était maintenant une donnée acceptée de tous, un fait sans intérêt. En face de lui, Pierre Lefaut, un adversaire à la personnalité moins percutante mais proche de tous ceux qui voulaient conserver leurs privilèges tout en grignotant de nouveaux avantages. Conservateur jusqu’au bout des ongles, il se faisait souvent photographier entouré de sa femme et de ses cinq enfants, et se glorifiait d’aller chaque dimanche à la messe. A l’entendre, la vraie France, c’était lui et lui seul.

La première demi-heure s’était passée sans anicroche importante, chacun sachant que leurs futurs électeurs ne comprenaient pas grand-chose à l’économie mondiale, et qu’il était donc inutile d’entrer dans de trop subtils détails. Il était temps de mettre un peu d’animation dans le débat, et Marie-Aude Brétigny choisit la question du mariage homosexuel qui, elle le savait, divisait farouchement les deux candidats.

Yves Renard prit la parole le premier, développa ses arguments : l’évolution de la société, l’égalité des droits pour chaque citoyen, et, plus généralement, les sacro-saints Droits de l’homme.

C’était au tour de Pierre Lefaut de s’exprimer, et il lâcha avec un certain mépris condescendant un « Bien sûr, venant de vous… »

Il se reprit aussitôt en apercevant le regard inquiet de la journaliste (surtout pas de dérapage). Ce discours, dit-il, était indigne d’un homme qui visait les plus hautes responsabilités de l’Etat. C’était oublier le respect du mariage de l’homme et de la femme qui depuis des siècles était le fondement même de notre nation, c’était oublier la nécessité de donner aux jeunes l’image rassurante de la famille, ces jeunes souvent déboussolés qui avaient tant besoin de se raccrocher à des valeurs solides.

- Et d’ailleurs, des jeunes, y en aurait-il encore longtemps si nous acceptions le principe des unions stériles ? Voyons plus loin, si nous abdiquons toute responsabilité, dans quelques décennies la France ne risque-t-elle pas le dépeuplement et, par voie de conséquence, un appauvrissement qui lui sera fatal ?

Yves Renard avait écouté cette envolée lyrique sans paraître s’en émouvoir. Il y eut un court silence, puis il posa à son adversaire une question inattendue :

- Où étiez-vous le 20 février dernier ?

Ahuri, désarçonné, Pierre Lefaut resta muet. Marie-Aude Brétigny voulut intervenir, mais Yves Renard insista :

- A cette date se déroulait le Carnaval de Venise... Rappelez-vous...

En février, Venise connaissait les journées de liesse traditionnelles de son Carnaval qui attirait chaque année plus de monde. Yves Renard avait décidé de s’y rendre pour vivre quelques heures insouciantes avant les derniers mois épuisants de la campagne présidentielle. Il avait dit à son entourage qu’il se retirait à la campagne chez d’anciens amis d’enfance que personne ne lui connaissait. A Venise, il serait préservé par le port du masque. Arrivé là, il loua un costume Louis XV qui lui donnait l’allure d’un personnage de Marivaux. La perruque et le masque complétaient sa tenue et garantissaient son anonymat. Le deuxième soir, la fête battait son plein, mais la foule agglutinée sur la place Saint Marc et les ruelles avoisinantes se dispersa au fur et à mesure que la nuit se prolongeait. Yves Renard s’enfonça dans des passages sombres, il savait y trouver l’aventure rapide qu’il désirait. En effet, en progressant dans l’obscurité, il devina des couples, il perçut des murmures essoufflés sans équivoque. On forniquait (terme d’époque !) sans gêne et tout était possible. Il avança, découvrit un homme seul qui errait au milieu des ombres, à la recherche d’un partenaire. Cette silhouette trapue lui convenait. L’approche fut simple, habituelle, d’abord des effleurements, bientôt des gestes précis. Alors qu’il était en pleine besogne, les mains agrippées aux épaules de l’homme qui lui offrait sa large croupe, il vit sous l’oreille de son partenaire une tache de vin qui s’élargissait en descendant vers le cou. Il pensa à une autre tache de vin qu’il voyait souvent... Impossible ! Et pourtant... Le ruban qui maintenait le loup de velours en place était sous ses yeux. Il l’attrapa avec ses dents, et tout en accélérant ses coups de reins, il tira, le masque tomba. C’était bien lui ! L’homme tout à son plaisir attendit d’avoir joui pour ramasser son masque et s’en couvrir. Il tournait le dos, il ne pouvait avoir été reconnu.

- Rappelez-vous... vous y étiez n’est-ce pas ?

Pierre Lefaut eut un geste de la main qui balayait avec mépris la question :

- C’est possible... Tout ceci est ridicule et nous éloigne de sujets autrement importants...

Yves Renard  continua pourtant :

- Le soir dont je parle, le 20 février, vous vous êtes éloigné dans une ruelle, vous y avez fait une rencontre que vous avez appréciée… A un moment vous avez perdu votre masque... C’était moi qui me trouvais derrière vous. Désirez-vous que je poursuive ?

Alors les téléspectateurs de la France entière virent Pierre Lefaut se dresser si violemment sur sa chaise qu’il la fit basculer en arrière. Debout, il lança son bras en avant en hurlant :

- Quoi ! Salaud, ordure !

A ce moment les téléspectateurs virent l’écran disparaître, remplacé par le décor du journal de 20 heures. Un autre journaliste prenait la parole :

- Nous vous prions d’excuser l’interruption de notre émission due à un incident technique indépendant de notre volonté.

 

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Commentaires
R
Ah comme la vie serait simple sans les problèmes de cul qui compliquent souvent les choses ! Mais quand on n'est pas pur esprit !....
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