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20 septembre 2011

Mon premier 1000 !

 

Je pratiquais le tir à l’arc depuis déjà un an. J’avais pris goût à cette activité et investi une coquette somme dans un arc et le minimum d’accessoires indispensables. Je m’entraînais au moins deux fois par semaine l’hiver, quatre fois au printemps car le terrain de tir se trouvait à deux kilomètres de mon collège, et j’y allais à l’heure du repas, préférant m’exercer plutôt que déjeuner à la cantine. Je participais à toutes les compétitions, avec chaque fois l’espoir secret de gagner dans ma catégorie. Chaque fois cet espoir restait intact malgré des places de seconde ou troisième où je faisais certes bonne figure, mais que je considérais comme un échec et qui me remplissaient de tristesse. Espoir, et aussi angoisse : chaque flèche était porteuse de mon désir d’être remarquée, d’être enfin l’élue. Tant que je n’avais pas commencé à tirer, tout était possible. Un neuf, pire un huit, c’était déjà le signe de la dégringolade redoutée. Un six et je m’effondrais intérieurement. Souvent les deux flèches suivantes refusaient d’atteindre le dix. La mort dans l’âme, je quittais le pas de tir et retournais poser mon arc. Cela commençait mal. Il y a 144 flèches à tirer en compétition… Pendant les pauses entre chaque distance, je tentais de savoir où en étaient les scores des autres femmes. Plusieurs scores supérieurs au mien ? Le sort s’acharnait contre moi. Talonnais-je de peu la championne d’Alsace ? La panique m’envahissait, car étais-je vraiment digne d’être distinguée ? Mon investissement affectif dans le résultat était tel que jamais je ne mettais en cause ma technique ou ma forme physique du jour. La dernière flèche du 70 mètres était tirée, les résultats s’affichaient enfin, j’étais classée deuxième, autant dire rien. Je souriais et remerciais ceux qui me félicitaient, j’entendais : « la prochaine fois tu verras… » mais une fois de plus mon destin s’était écrit : toujours après l’autre, toujours ignorée.

Et puis il y eut cette compétition à Epinal, si loin de Strasbourg que je ne trouvai personne pour y aller avec moi et partager ma voiture. Etre seule à tenter l’aventure, c’était déjà placer cette compétition un peu à part des précédentes. Quand j’arrivai sur le terrain, je découvris que le tirage au sort m’avait mise sur la même cible que la championne d’Europe. Une concurrente intouchable, qui ne comptait donc pas comme rivale. J’en oubliai toutes les autres. Pourquoi me suis-je sentie en confiance auprès de cette jeune femme ? Est-ce sa gentillesse, sa modestie, sa proximité ? Nous bavardions de concert vers la cible pour aller compter nos points et retirer nos flèches, comme deux complices unies dans un même jeu. Je ne m’intéressais plus aux autres, ni à leurs résultats. Je tirais sans angoisse, sans craindre la flèche suivante, je marquais les points sur la fiche sans être obsédée par les chiffres. J’étais bien sûr dans l’état de tension et de concentration normal chez tous les archers, mais sans l’investissement maladif que j’y mettais d’ordinaire. J’accueillis donc ma place de deuxième comme un succès. J’avais fait 1084 points, c’était mon premier 1000, suivant l’expression dans le milieu. Double succès !

Je me sentis forte de tous les possibles. Mon retour, seule au volant comme à l’aller, se passa comme dans un rêve. J’exultais et roulai à une vitesse jamais atteinte par ma petite voiture. Il y avait heureusement fort peu de circulation. Y en aurait-il eu, qu’importe, je me sentais invulnérable. Mon état de bonheur parfait dura jusqu’à ma séance d’entraînement du lendemain. Je déclarai à un archer ami :

- Finalement, c’est facile de faire 1000 !

- Tu crois ça ? Tu verras. Il faut le refaire, ça n’est pas évident du tout.

Est-ce sa réflexion désabusée qui me fit replonger dans mon comportement névrotique ? Plus jamais je n’atteignis les 1000.

 

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Commentaires
A
Ouf! Comme je te l'ai écrit plusieurs fois en "directos". J'aime beaucoup cette histoire de sportive enthousiaste qui en bave des ronds de chapeau, mMais qui ne désespère pas finalement.<br /> Bises<br /> Gigri
A
Texte bien sûr bien écrit, mais ici l'émotion y est particulièrement papable, on se sent totalement happé par le défi que se fixe l'auteur. On partage sa joie et aussi plus tard son acreté de ne pas avoir renouvelé...bien plus que mille pour ce joli texte!!!
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