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19 décembre 2011

Pauvre maman.

Il la tenait par le bras et ne la lâchait pas. Tout le monde devait nous regarder. Moi je fixais les marches de l'escalier roulant, elles glissaient l'une dans l'autre, j'aurais voulu disparaître en même temps qu'elles quand nous arriverions tout en bas. Sur l'autre escalier à côté de nous, celui qui montait, un garçon a ri, je ne sais pas pourquoi, Solène m'a dit : C'est un idiot. J'entendais maman qui disait : Faut m'excuser, je voulais pas, je vous en prie monsieur... Elle avait une petite voix que je ne lui connaissais pas, comme celle de Solène quand elle demande à papa la permission de sortir le soir.

Nous étions arrivés au sous-sol. Le surveillant qui tenait toujours maman nous a conduits dans un petit bureau derrière le rayon des casseroles, il a ouvert la porte, il nous a dit : Asseyez-vous, j'appelle le directeur, et il a téléphoné sans quitter maman des yeux. Ma sœur s'est assise sur l'autre chaise, elle avait sa tête qu'elle fait quand on lui résiste. Je suis resté debout, il n'y avait plus d'autre chaise. On a attendu. Personne ne parlait, le surveillant caressait sa cravate, il avait une grosse bague dorée au doigt, il avait l'air content.

C'était vraiment nul cette histoire, parce que l'après-midi avait bien commencé. Maman avait dit : On va faire les magasins, voir ce qu'on achètera pour Noël quand papa aura sa paye. Solène voulait un nouveau jean et elle a dit qu'elle en essaierait plein, quand maman est avec elle les vendeuses peuvent rien dire. Moi je voulais tester les nouveaux jeux, c'était trop bien comme idée de faire les magasins, et on chantait dans la voiture, Solène et moi, pendant que maman tournait dans le parking pour avoir une place pas loin de l'entrée.

On s'est vraiment éclatés, j'ai vu plein de trucs super que j'aimerais avoir, mais faut choisir disait maman, soixante euros maxi chacun parce que la prime de Noël de papa faut en garder aussi pour la télé écran plat, on l'aura bientôt si les enfants se privent un peu. Là-dessus on est d'accord ma sœur et moi. Pour finir maman a voulu aller regarder les parfums, Solène ça l'intéressait aussi, moi non, mais bon je les ai suivies et elles ont commencé à s'en mettre sur les mains, et puis sur les poignets, et elles s'échangeaient les bouteilles, et elles regardaient celles qui étaient sur les étagères pour voir les prix, ça n'en finissait pas, je commençais à en avoir marre, j'aurais préféré rester au rayon des jeux vidéo pendant tout ce temps perdu, et c'est là que j'ai vu le surveillant arrivé de je ne sais où, qui prenait maman par le bras et lui disait : Veuillez me suivre Madame.

 

On attendu longtemps, peut-être que le directeur le faisait exprès. Je regardais la pauvre maman, elle était toute ratatinée sur sa chaise, elle avait l'air de pas comprendre ce qui lui était arrivé. Sûr, c'était pas son genre de faucher, au contraire quand ça parlait de voyous à la télé elle nous disait : Faites jamais comme eux, je veux pas avoir des enfants qui vont en prison. Peut-être qu'elle avait perdu les pédales et qu'elle avait pris un parfum pour économiser sur la prime de papa et avoir un écran plat encore plus grand. Mais alors c'était presque rien ce qu'elle avait pris, une vraiment minuscule bouteille, elle allait la rendre et on la laisserait partir tranquille. D'ailleurs probable qu'elle n'avait rien pris du tout, le surveillant s'était trompé et maman avait eu si peur qu'elle n'avait rien osé dire. Elle attendait le directeur pour se plaindre de son salaud de surveillant. Oui, c'était sûrement ça. J'ai regardé Solène, mais elle avait sorti son portable et elle faisait un jeu.

La porte s'est ouverte et le directeur est entré, un petit gros qui avait l'air cool. Ça m'a rassuré. Sauf qu'il a dit tout de suite : Sortez ce que vous avez pris. Même pas Bonjour Madame. Un bouffon, ce mec. Maman a dit : Mais j'ai rien pris, c'est une erreur. Alors il a dit : Vous préférez que j'appelle la police et qu'on vous fouille ? La pauvre maman s'est mise à pleurer, et puis j'ai vu qu'elle sortait de sous son pull une petite boîte blanche toute emballée comme celles qu'elle avait regardées sur les étagères, là-haut. Elle l'a tendue au bouffon, ses mains tremblaient, et elle a dit : Excusez, c'est la première fois, je ne sais pas ce qui m'a pris.

Bien, il a dit. Et alors il a sorti du tiroir de son bureau une grande feuille de papier, il a pris un stylo dans l'intérieur de sa veste, un Mont Blanc, ça j'ai remarqué, et il a demandé : Vos papiers. Je vais prendre votre identité, au cas où... Il s'est mis à tout copier, il disait à chaque ligne : C'est bien votre nom ? C'est bien votre adresse ? Ça avait l'air de lui faire plaisir, de prendre son temps, de faire la honte à maman. Quand ça a été fini, il lui a rendu sa carte, et il s'est levé en disant : Je vous conseille de ne pas revenir chez nous, ça vaudra mieux. Et il est sorti sans dire au revoir, juste un petit signe de la main au surveillant qui nous a dit que nous pouvions partir.

Dans la voiture maman est restée silencieuse, puis elle s'est énervée contre un crétin qui venait de la doubler à droite, elle a crié : Espèce d'enculé ! J'en revenais pas, jamais elle dit des trucs pareils, même qu'elle crie après moi quand elle m'entend dire des choses qui lui plaisent pas. Mais bon, d'accord, le bouffon, toute cette histoire, ça l'avait retournée. En arrivant, elle a juste dit : Motus, hein ? J'ai dit : Bien sûr. Solène a fait Hon hon, elle jouait toujours sur son portable.

Papa est rentré, il a dit comme d'habitude : Ça va ? On a dit : Ça va. On a dîné, on a regardé la télé, et je suis allé me coucher. Papa est resté encore un peu devant la télé, sa bière était pas finie. J'ai entendu maman qui disait à Solène : Viens avec moi, tu vas m'aider à sortir le linge de la machine, et elles se sont enfermées dans la salle de bains. C'est à côté de ma chambre, je les ai entendues, maman gueulait sur ma sœur : Si t'es pas fichue de m'aider, tu t'y prends comme un manche, pourtant je t'avais expliqué...

C'était bien du délire pour étendre du linge. Maman a continué : Tu devais te mettre devant moi pour me cacher, je te l'avais pourtant dit qu'il fallait pas regarder en même temps ce que je faisais, espèce d'imbécile !

Elle est vraiment nulle ma sœur. Moi j’aurais su.

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Commentaires
A
en effet, qui n'a pas été coupable d'un petit larcin dans son adolescence ?
M
j'ai beaucoup aimé cette histoire, il y a des tentations pour tout le monde c'est humain.<br /> à bientôt<br /> manouedith
A
Que signifie "pour toi", "ta chère maman" ? A qui t'adresses-tu ? Au narrateur je suppose, puisqu'il s'agit d'une nouvelle (c'est classé dans cette catégorie) donc d'une fiction. Ne pas confondre narrateur et auteur !!!
A
Je m'y attendais pas!<br /> Mon Dieu! Belle histoire mais quelle horreur en même temps!<br /> Pauvre femme! Et aussi pour toi, qui n'étais pas au courant de la complicité entre ta chère maman et Solène.<br /> *Bon, remets-toi vite de cette abominable "histoire" (très chouette)<br /> Bises<br /> Gigri
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